Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Montaigne

Image campagne 2021 - Animal Testing
Annoncé depuis juin 2024, ce 1er juillet 2025 marque un tournant important dans la lutte contre l’expérimentation animale et les souffrances dont elle est la cause. Les laboratoires de l’Union Européenne ont désormais pour interdiction d’effectuer des tests pyrogènes sur les lapins. Afin de déceler la présence d’un composant susceptible de provoquer de la fièvre dans un médicament, le produit était injecté dans les oreilles des lapins. L’on vérifiait alors la présence ou non de fièvre chez les animaux testés avant leur mise à mort. Des méthodes alternatives reconnues existent depuis au moins 2010 mais il a fallu attendre 2025 pour éradiquer ces pratiques cruelles.
Bien souvent, lorsque l’on évoque l’expérimentation animale, l’idée de mal nécessaire émerge. On testerait sur les animaux non par plaisir mais par nécessité. Et d’ailleurs, une réglementation existe, celle des 3R [1], censés réduire le nombre d’animaux utilisés aux seules recherches jugées nécessaires, remplacer ces animaux lorsqu’une alternative efficace existe et réduire la souffrance autant que possible. La réalité est bien différente …
L’argument d’autorité [2] est très présent dans les débats sur l’expérimentation animale. Parce que les scientifiques bénéficient d’un statut social important, on considère qu’ils ont forcément raison ; d’autant plus concernant la complexité des connaissances scientifiques qui semblent peu accessibles au plus grand nombre. Sans nier ces connaissances, il est important de rappeler que les scientifiques sont humains, qu’ils peuvent être influencés par leurs croyances personnelles, par les finances de leurs recherches, les enjeux de leur carrière, ou encore le respect des normes institutionnelles.
Il ne suffit pas de dire qu’on est scientifique pour bénéficier d’une connaissance illimitée et d’un point de vue objectif.
Et en effet, l’expérimentation animale est noyée, comme bien d’autres sujets, sous des intérêts multiples qui dépassent le seul aspect moral. Les industries qui y ont recours sont parvenues à invisibiliser les animaux, par la difficulté à accéder à des informations fiables, parfois cachées. Les intérêts croisés (pressions économiques, quêtes de reconnaissance etc.) de ces secteurs et de celui des médias amplifient ce phénomène. Lors de la sortie de son enquête sur les chiens utilisés dans le cadre du Téléthon en 2016, l’association Animal Testing s’est heurtée à la difficulté de trouver une voix médiatique qui acceptait de relayer l’enquête ; les médias étant eux-mêmes partenaires de l’événement.
Sans le savoir, nous côtoyons des animaux de laboratoire dans notre vie quotidienne [3] :
les additifs dans les aliments transformés,
les produits d’entretien et de soin (shampoing, lessive etc.),
l’encre des stylos et les rouleaux de scotch,
les pansements, rasoirs, crèmes solaires, les serviettes hygiéniques pour les règles,
les cigarettes,
les moteurs de voiture
et bien d’autres exemples encore. Secteur plus connu, les animaux sont aussi testés pour produire des médicaments mais aussi pour traiter nos propres souffrances comme la dépression, l’isolement social ou encore la consommation de drogues.
Chaque année, ce sont environ 12 millions d’animaux qui sont utilisés en Europe pour l’expérimentation animale. Si les souris (68%), les rats (7%), les lapins (9%) et les poissons (8%) sont les plus nombreux, d’autres espèces sont utilisées pour ces tests : des animaux d’élevage comme les cochons, les chevaux et les vaches, les primates et même les chiens et les chats. À l’université de Franche-Comté, plus de 9000 animaux peuvent être utilisés dans les laboratoires [4].

Si le sort des chiens et des chats touche particulièrement la société, les autres animaux, non moins sensibles, souffrent aussi lors de ces expériences.
Les chiffres officiels omettent de compter les animaux utilisés pour l’élevage, ceux qui ont subi les prélèvement de tissus et/ou d’organes et les animaux surnuméraires (nés en trop grand nombre et donc tués à la naissance).
L’expérimentation animale s’organise en différents niveaux de gravité : légère, modérée, sévère et sans réveil. Les expériences de niveau modérées portent un nom qui rassure mais elles incluent des animaux apathiques, fiévreux, atteints de maladies neurodégénératives ou atteints de trouble du comportement. Si nous parlions de souffrances humaines, nous ne les qualifierions sans doute pas de “souffrances modérées”.
Les expériences de niveaux sévères, censées n’être employés qu’en cas de nécessités, impliquent de grandes souffrances, souvent prolongées. Dans son livre Animal Testing, Audrey Jougla qui a enquêté pendant plus d’une année dans les laboratoires, témoigne d’une recherche de niveau sévère :
Ici, une recherche sur cinq ans menée sur 13 050 poules et 950 dindes. Pour elles : mauvaise pioche. “Le présent projet concerne l’évaluation d’un produit immunologique destiné à stimuler le système immunitaire des animaux d’élevage” (projet 17 542) : ici, l’expérimentation animale vise à rendre les élevages plus performants. On parle bien peu de ces expériences où la souffrance animale a pour but d’améliorer l’exploitation animale. “La procédure est classée en gravité sévère.” La connaissance du vivant sera brandie, alors que l’application de ces expériences cible la productivité des élevages. [5]
Difficile de ne pas repenser aux enquêtes de L214 sur les vaches à hublot [6] qui avaient été médiatisées en 2019. Les animaux sont réifiés pour la productivité, au mépris de leur sensibilité et de toute la souffrance que cela implique.
En 2023, 49% des animaux de laboratoire subissaient de grandes souffrances et 48% étaient tués sous anesthésie dans le cas d’expériences sans réveil.

Et si certains scientifiques veulent nous faire croire que les animaux participent de leur plein gré, la réalité est bien différente. Leurs conditions de vie sont difficiles. Les souris et les rats vivent dans des cages de la taille d’une boîte de chaussure, ce qui les empêche d’exercer leurs besoins naturels et d’interagir avec leurs congénères. Les animaux sont enfermés constamment, dans un environnement artificiel et anxiogène. Sortis de leurs cages pour des moments de souffrances, même occasionnels, ils peuvent subir des dépressions et un mal-être qui peut se poursuivre toute leur vie (environ 10 ans pour certaines espèces de singe). Les dressages peuvent être violents, les expériences impliquent parfois contentions et privations de nourritures.
On casse les animaux pour qu’ils obéissent.
Et pourquoi ?
Le modèle animal est lui-même remis en question pour sa fiabilité. Anissa Putois [7], porte-parole de Peta, souligne les différences de réactions entre les espèces, même les plus proches de nous, et notamment parmi celles qui sont utilisées par l’expérimentation animale. Si la pénicilline tue les cochons d’inde, elle est sans effet sur les lapins. Les aspirines, que nous utilisons régulièrement pour traiter nos maux de tête provoquent des malformations chez les rats et les souris. Les travaux d’Andrew Knight [8] et d’Aysha Akthar [9] n’hésitent pas à affirmer que l’expérimentation animale peut même nuire à la santé humaine. Selon eux, les préjudices sur les animaux sont bien plus importants que les bénéfices qui pourraient être apportées aux humains.
André Ménache [10], vétérinaire et conseiller scientifique pour Antidote Europe [11] et Pro Anima [12] a lui-même participé à un comité d’éthique, censé veiller au respect de la règle des 3R. Aujourd’hui opposé à l’expérimentation animale, il déplore le peu de réussite des essais cliniques lors du passage de l’animal à l’homme. De nombreux médicaments, bons pour les humains, auraient d’ailleurs été abandonnés sur la base des résultats sur les autres animaux. Il explique qu’en tant que vétérinaire, il ne pourrait pas tester un médicament destiné aux chevaux sur des perroquets et que ce parallèle est aussi valide pour les êtres humains et les autres espèces animales.
Et quand bien même, cela justifierait-il les souffrances endurées par les animaux ?
Car le problème principal que pose l’expérimentation animale dépasse la fiabilité des résultats scientifiques. C’est un enjeu éthique qui se joue. Autrefois, pour faire avancer les sciences, il était habituel d’exploiter des êtres humains aux conditions sociales considérées comme inférieures et victimes d’opressions multiples : les orphelins, les déficients intellectuels, les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes racisées, les prisonniers, les juifs etc. Aujourd’hui, avec les mêmes arguments qui autrefois, permettaient aux scientifiques d’effectuer des tests sur ces personnes humaines, on teste sur les animaux.
Tout comme les être humains, les animaux ont des intérêts à ne pas souffrir.
Justifier l’expérimentation animale sur la seule base de l’avancement de nos connaissances revient à implicitement affirmer que les coûts des souffrances des non-humains ont si peu de valeur morale que cet avancement de nos connaissances suffit à justifier les souffrances qu’ils endurent. [13]
Si nous acceptons de faire subir à d’autres animaux ce que nous n’accepterions pas sur des êtres humains, c’est parce que nous portons sur eux un regard discriminant, au même titre que d’autres formes de discriminations (comme le sexisme, le racisme etc.), qui s’appelle le Spécisme.
Sortir d’un rapport de domination avec les autres animaux a la même importance que pour toutes les autres formes d’oppressions.
Que faire ?
Depuis 2013, l’Union Européenne interdit les tests sur les animaux pour les cosmétiques mais aussi la vente et l’importation des produits cosmétiques testés sur les animaux dans d’autres pays. Mais trois exceptions demeurent :
les substances multi-usages utilisés dans d’autres domaines que celui des cosmétiques,
certaines catégories de composants pouvant être dangereux,
les produits testés et mis sur le marché avant 2013
Certaines marques dans le domaine des détergents (lessive etc.), comme l’Arbre Vert par exemple, plus éthiques, contournent l’obligation de test sur les animaux, en utilisant des produits qui ont autrefois été testés sur les animaux mais qui ne le sont plus aujourd’hui.
L’utilisation de labels Cruelty Free (Sans Cruauté) restent donc nécessaires lorsque nous ne voulons pas cautionner l’expérimentation animale. Voici les 4 principaux labels que nous pouvons retrouver en France :

Label de Peta attestant que le produit et ses composants n’ont pas été testés sur les animaux. La mention "vegan" précise qu’il n’y a aucun produit d’origine animale.

Label de Leaping Bunny (Human Cosmetic Standards)

Label allemand IHTK attestant que le produit n’est pas testé sur les animaux et que l’organisation ne finance aucune expérimentation animale.

Label autralien CCF (Choose Cruelty-Free) attestant que ses produits ne sont pas testés sur les animaux et qu’ils ne sont pas vendus dans un pays où les tests seraient obligatoires.
La seule mention “vegan” ne garantit pas qu’un produit ne soit pas testé sur les animaux, elle confirme seulement que les produits qui composent le produit ne sont pas d’origine animale (lait, oeuf, etc.). Cependant les boutiques entièrement véganes ne vendent généralement pas de produits testés sur les animaux et certaines associations telles que Peta ou One Voice proposent même des listes de marques qui ne testent pas sur les animaux.
Enfin, vous pouvez aussi soutenir les associations sans lesquelles les enquêtes ne seraient jamais sorties. Animal Testing a notamment permis de mettre en lumière les souffrances que vivent les animaux dans les laboratoires et d’imposer le débat dans notre société. D’autres associations, comme White Rabbit, essaie de donner une seconde vie aux animaux rescapés.
La cruauté ne devrait jamais être banalisée. Merci pour votre lecture !
Amandine Moity
A lire aussi : Audrey Jougla, Profession : animal de laboratoire, éd. Decitre

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