On raconte très peu car on ne se sent pas légitime à le faire. « Ce n’est pas important, ça n’intéresse personne, c’est pas intelligent, je m’exprime mal ».
On doit sans cesse lutter contre ce syndrome de l’impostrice qui nous fait douter, mais surtout qui nous fige, nous empêche d’agir. Raconter les évènements en dehors des analyses lointaines des journalistes, et en refusant le male gaze, c’est aussi agir.
On a voulu au maximum que le 10 septembre soit aussi une journée de revendications féministes. Ce n’est pas une lutte secondaire dont on s’occupera une fois que la révolution sera faite, c’est un enjeu ici et maintenant et notamment dans les récits et analyses qui restent de cette journée.
Voici donc un ensemble de textes écrits par des personnes variées, qui ne se connaissent pas, qui ont des points de vue différents, mais qui avait envie de s’exprimer sur cette journée de mobilisation.
Bonne lecture !
Texte 1
Le matin on s’est pris trop de force et de stratégie policière en face, et pas assez de force d’auto-organisation de notre côté, ça m’a beaucoup frustrée et foutu mal mais le déferlement de l’après-midi a fait du bien, de se voir en nombre en manif spontanée, traverser la ville ensemble, tenter des trucs ; mais il manquait beaucoup de monde, de diversité de profils. C’est pas un hasard si cet appel a pas donné envie à pleins de gens.
Le fait qu’on se tienne pas a un parcours plan-plan qui fait le tour de la boucle était cool, mais le manque d’infos et de communication dans le cortège a pu etre super frustrant pour des gens, de pas savoir où on allait, pourquoi, etc.
Ce qui me fait flipper aujourd’hui c’est de voir comme les chiffres d’hier au niveau national sont bas, 250 000 gens en manif, 4% seulement des agents de l’Etat en grève, pour une date qui a été aussi médiatisée j’ai l’impression que c’est peu. Je suis contente que les étudiant.es soient aussi mobilisé.es mais je me demande comment le mouvement peut s’amplifier si il parle pas aux travailleur.euses par exemple. Je me demande c’est quoi nos forces, c’est quoi qui nous pousse, et comment on se fait sortir les un.es les autres d’un quotidien qui nous écrase, pour construire un truc puissant qui se crash pas au sol en deux jours.
Texte 2
ACTION PROTECTION SOLIDARITÉ
Nous choisissons la solidarité et l’intelligence collective.
La profusion d’informations n’est pas une faiblesse : c’est la force de notre mouvement, une multitude de voix qui se répondent et se protègent.
Face a la surveillance, nous transformons le flux en écran. L’ouverture de nos échanges détourne, disperse, offre à chacun et chacune des chemins pour agir en sécurité et efficacité.
Agir, c’est protéger. Nous refusons de mettre inutilement en danger nos vies et celles de nos proches. Notre vocation : faire reculer tout ce qui cherche a nuir à nos existences, affirmer notre droit de continuer, ensemble, à résister.
Dans l’action, chacun son rôle, chacun sa place. Les plus exposés restent insaisissables, connaissent le terrain, se dispersent et se retrouvent. Les plus discrèt·es planifient dans l’ombre, loin des réseaux, avec respect et précaution.
Ce combat est pluriel. Chaque méthode nourrit les autres. Ce sont nos complémentarités qui feraient notre force : des stratégies multiples, une seule volonté commune.
Texte 3
Le 10 septembre était la première manif sauvage à laquelle je participais. La veille, ma coloc m’a demandé si je viendrai sur le rond-point le lendemain matin et je me suis greffée à l’aventure.
Me voilà donc à 6h du matin, dans la nuit noire et brumeuse à marcher jusqu’au rond-point. En arrivant, un joli feu nous accueillait, réconfortant. Rapidement, des personnes ont amené des palettes pour bloquer un accès. J’étais étonnée, et soulagée, de réaliser que plusieurs personnes dans leurs voitures nous encourageaient en klaxonnant !
Progressivement, la police se rapprochait du rond-point, j’ai commencé à avoir peur. Je me suis éloignée un peu pour écouter la chorale féministe militante qui chantait juste à côté. Ça m’a fait du bien, c’était un beau moment. J’ai entendu quelqu’une qui rapportait les paroles de la police « attention, c’est la dernière sommation ». En un clin d’œil, j’ai donné ma pancarte à ma coloc, j’ai fait demi-tour et je suis partie !! La peur des violences policières a eu raison de mes envies de REVolution !
Texte 4
Je trouve un peu dommage la tournure que la mobilisation prends… je ne peux que comprendre l’attitude révoltée de l’étudiant de psycho qui veut venir se joindre à l’ag pour gueuler son mécontentement, si tout était bloquer évidement que ce serait logique que la fac le soit aussi, mais la, sachant que chaque terasse, chaque bar, chaque restaurant, chaque station essence, chaque commerce est ouvert, tourne et est blindé de monde, c’est dommage de pénaliser le peuple et les étudiants pour essayer de vouloir porter des revendications qui au final résultent d’une action sans poids auprès de ceux qu’on voudrait se faire entendre …
Si chaque personne motivée à bloquer la fac migrait au periph ou à des endroits plus stratégiques en question d’impact je pense que ce serait plus efficace.
Texte 5
Ben perso moi j’ai été déçue de la journée du 10. J’ai été déçue parce que lors des dernières mobilisations j’étais dans d’autres villes, plus grandes que Besançon, avec du coup plus de monde et plus d’organisation peut-être, plus de gens offensif·ves. J’avais l’impression, peut-être à tort, de faire vraiment quelque chose. D’avoir un (petit) impact. Là juste on a marché et joué au chat et à la souris avec les flics et comme souvent dans ces jeux-là on a perdu.
(Je parle du matin, du rond-point)
C’est juste que j’ai l’impression qu’on n’est allé·es au bout de rien. Comme si on avait peur du jugement des autres, comme si on assumait pas nos méthodes d’action. On avait l’avantage du nombre et celui de l’incertitude des flics qui savaient pas ce qu’on allait faire (nous non plus). On n’a pas su en faire quelque chose.
Je veux pas donner de leçon de morale ou de militantisme, je veux pas dire ce qu’on aurait dû ou pas dû faire. De tout façon j’en sais rien. Je me sens juste frustrée de voir que par cette peur on (moi la première) a été paralysé·es, on s’est perdu·es dans un cul-de-sac et sous un pont et dans les recoins d’une piste cyclable au lieu d’oser prendre la place. C’est ça : je pense qu’on doit oser prendre la place.
Texte 6
Je te rejoins sur la frustration liée à l’échec du blocage du rond point mercredi matin. Mais honnêtement je ne m’attendais pas à autant de flics et on a vu qu’ils attendaient de profiter du moindre petit signe de rébellion pour réagir violemment. Perso je suis jeune maman et pas prête à risquer d’être blessée. On est arrivé avant 6h et ils étaient déjà là en nombre. J’étais contente de participer à une autre forme d’action que celle conventionnelle des manifs mais le rapport de force me paraissait trop déséquilibré. Ça m’a hyper touchée quand la chorale militante a chanté et beaucoup de gens on repris "à bas l’Etat policier" avec une mélodie d’une douceur et d’un calme qui semblait inébranlable comme s’il n’y avait que ça pour tenter de percer leur bouclier en pvc, de ramollir leur matraque et de raviver un peu d’humanité derrière leurs armures. De voir toute la capacité d’un collectif à s’organiser à inventer des solutions comme la garderie ça me donne trop envie de continuer à m’impliquer mais j’ai l’impression que pour que le mouvement s’élargisse il faut trouver des formes de désobéissances civiles qui ne nous mettent pas directement en confrontation avec les forces de l’ordre.
Texte 7
Rue Mégevand, vers la fac de lettres.
On entend des cris et des hourras. Des étudiant-es viennent d’accrocher le drapeau de la Palestine, il flotte maintenant au-dessus de la porte d’entrée.
Le groupe majoritaire vient de repartir pour aller bloquer la place Leclerc. Avec mon groupe, on est fatigué de faire des aller-retour entre les différents lieux du mouvement. On s’est levé à 5h30 ce matin pour aller sur un rond-point en périphérie du centre-ville. On a besoin de se poser quelque part. On reste donc devant la fac, en attendant l’arrivée du Resto Trottoir, la cantine autogéré. Comme la foule est partie, et qu’il ne reste plus qu’une vingtaine de personnes, les voitures commencent de nouveau à passer dans la rue.
On décide de la bloquer. C’est le thème de la journée, non ? On prends ce qu’on trouve : des poubelles, des palettes, des grilles. Il ne s’agit pas juste de la bloquer, il faut aussi se l’approprier et l’occuper. On est si peu habitué à utiliser la rue, que personne n’ose marcher, s’assoir ou se réunir dessus. De manière très disciplinée, tout le monde reste sur le trottoir.
Les journées de manif et de blocage sont vite longues, composées surtout de moments d’ennui, de vide où l’on a l’impression qu’il ne se passe rien. Le plus long, c’est cette attente qui se mélange à de l’excitation et du stess. C’est dur pour les nerfs, car il ne faut pas relâcher son attention, il peut toujours arriver quelque chose, même quand tout paraît calme.
On a réussi notre taf, la rue est bloquée. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
On se décide à tenter l’atelier de linogravure pirate. On a le matos pas loin, il ne nous manque que la table.
Mais bon, tranquille, on est à côté de la fac, un bâtiment composé de salles de classes avec plein de chaises et de tables. On va demander une table aux étudiant-es qui gardent l’entrée, mais on nous explique qu’iels ne peuvent pas passer du matériel, car sinon iels vont être accusé-es de dégradation. On leur dit que c’est juste pour faire de la peinture et qu’on leur rend après, mais iels sont catégoriques, ce n’est pas possible. Utiliser une table pour faire un atelier de lino n’est quand même pas le truc le plus dangereux pour sa petite vie de table. A la limite, elle va revenir un peu tâché d’encre. Mais aller, tant pis, on continue notre quête.
Dans la même rue, il y a l’interstice, café librairie qui fait garderie pour le mouvement. On demande des tables et on nous les prête directement, en nous demandant seulement de les ramener vite si ça commence à chauffer.
On les pose bien au milieu de la rue. On prend enfin l’espace. Des personnes commencent à venir, curieuses, on leur explique le principe. Il faut choisir son modèle, mettre de l’encre sur le rouleau, bien appuyer et enfin faire sécher. Un mec du BTP qui travaille dans la rue vient nous demander si c’est un goûter. On lui passe de la bouffe. C’est bonne ambiance, les gens de la rue parlent avec d’autres gens de la rue.
On accroche ensuite les cartes sur une ficelle qui est accroché à un barreau de fenêtre de l’université et un chéneau vers le théâtre. Ça paraît rien, mais ça habite bien l’espace. L’infokiosque dépose aussi des brochures de toutes les couleurs. Dans cette rue bétonnée qui sépare la fac et le théâtre, ça donne un peu de vie. Si une personne d’art du spectacle était passé, j’imagine que ce fil tendu qui relie la fac et le théâtre aurait pu lui inspirer un pamphlet sur " La grandeur des luttes qui rassemble, comme ce fil qui est le symbole de nos connexions, car finalement c’est ça qui est beau, c’est d’être ensemble. "
Néanmoins, les théatreux ne sont pas là, alors que les flics si.
Deux motards arrivent et s’arrêtent devant le fil, comme si c’était aussi une frontière pour eux. Ils passent au moins 10 min devant le fil à regarder les dessins. Je ne pense pas qu’ils observent la qualité de l’impression, mais plutôt les messages, comme les petites voitures de police qui brûlent ou les slogans des dessins " tout brûler" ou encore " compost the rich".
On suppose qu’ils attendent les ordres.
On est trop peu, moins d’une dizaine vers la barricade, on les regarde aussi, et on attend de voir ce qu’il va se passer.
Une ancienne institutrice me tient la jambe pour m’expliquer que quand même, il y a de bons profs, alors que je lui répond que le problème est l’école en elle-même. Je coupe la conversation, car je vois les flics arriver et je surveille ce qu’il va se passer, mais elle tient absolument à continuer la discussion et me dit que les flics, bah ils ont que de la gueule, mais ils ne lui ont jamais rien fait en des années de manifs. Tout ça en les ignorants royalement et en me bloquant la vue. Je ne comprends pas comment il existe encore des personnes qui n’ont pas la méfiance comme réflexe viscéral devant ces personnes à uniforme.
Sur ce, un des flics descend de sa moto et commence à essayer d’arracher la ficelle. Il a des gants, mais il galère à l’enlever, et il se fait mal. Plein de journalistes charognards dès qu’il se passe le moindre truc, mais personne pour capturer cet instant.
Ils nous presse ensuite : "Mesdemoiselles, on vous laisse le temps de ranger tout ça proprement". On avait déjà commencé à remballer, on voulait pas qu’ils nous saisisent notre matériel. On ramène les tables et une dizaine de policier-ers arrivent. On est genre 5 à ranger en face. Ils prennent délicatement tous les objets qui servaient de barricades et ouvrent la route à nouveau. On reprend la ficelle qui traîne par terre, et on l’attache sur le mur de l’université. Le fil ne traverse plus la rue, c’est sur le trottoir, ce n’est plus leur problème. Il est bientôt midi, toutes les troupes partent, sûrement pour manger. On range notre matos et on fait la même. Les gens du resto Trott sont arrivés et on va se rassasier, plutôt dépités. On comprend bien qu’on est mal organisé, que l’on n’était pas assez nombreux, qu’on aurait dû faire autrement. On a tenté un truc, ça nous a donné des idées, on s’organisera mieux la prochaine fois.
Texte 8





























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