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Accepter la perte

Un pari pour sortir de l’escalade belliciste.
Un texte du groupe Grothendieck

Il est une réalité que tout le monde aura pu constater : tous les pays du sommet capitaliste se réarment massivement : 2,1 % du PIB pour la France sont investis en dépenses militaires (bientôt 3,5 % si la loi de programmation militaire est respectée et peut-être 5 % avec la nouvelle proposition de l’Otan [1]), sans compter des rallonges envisagées.

La France donc, mais aussi l’Allemagne, l’Angleterre, la Pologne, la Chine, l’Inde, bien sûr les États-Unis etc, tous courent l’un après l’autre pour engranger canons, missiles, drones et hommes enrégimentés. Comment sortir de cette escalade guerrière ?

La guerre sera prête quand le réservoir sera plein

Il est une autre réalité, concomitante à la première, dont il va falloir sérieusement se préoccuper. Ce sont les anarchistes, refusants et refusantes de la première Guerre mondiale qui nous l’ont enseigné :

La guerre était inévitable : d’où qu’elle vînt, elle devait éclater. Ce n’est pas en vain que depuis un demi-siècle, on prépare fiévreusement les plus formidables armements et que l’on accroît tous les jours davantage les budgets de la mort. À perfectionner constamment le matériel de guerre, à tendre continûment tous les esprits et toutes les volontés vers la meilleure organisation de la machine militaire, on ne travaille pas à la paix. [2]

Effectivement, qu’elle soit mondiale (deux camps répartis sur un ou plusieurs fronts) ou « mondialisée » (plusieurs types de coalitions et d’alliances répartis sur de multiples fronts chauds ou tièdes), cette guerre (la Guerre !), les états-majors s’y préparent intensément. L’actuel numéro deux au sein de la hiérarchie militaire française, le général Vincent Giraud le confirme dans le dernier numéro du magazine des armées, Esprit de défense, consacrée à la guerre dite « de haute-intensité » :

Nos armées sont au rendez-vous[...] Nous avons donc imaginé une échelle de "stade de défense". Elle va du niveau Stadef 5, lorsque la situation est stable au niveau Stadef 1, qui correspond à un état de guerre. [3]

Voilà qui n’est pas là pour nous rassurer quel que soit le niveau actuel !

Cette guerre à beau être high-tech avec ses drones, ses satellites et son IA, (et possiblement ses robots tueurs [4]), elle reste une créature avide de sang humain, de beaucoup de sang frais ! La guerre russo-ukrainienne par exemple est la plus grande boucherie humaine sur le sol européen depuis la Seconde guerre mondiale (280 000 morts et 800 000 blessés [5] en constante augmentation). Et c’est pourquoi les États qui se réarment, ont besoin pour cette « guerre-déjà-là » de beaucoup d’hommes et de femmes en capacités de se battre (de se sacrifier seraient plus juste).

Chaque État du sommet estime devoir fournir pour le début d’une guerre de haute-intensité environ 300 000 soldats formés [6]. Avec ces 200 000 soldats, ses 45 000 réservistes de la réserve opérationnelle, ces 37 000 réservistes de la gendarmerie et ses 60 000 anciens militaires mobilisables, la France est bientôt prête à attaquer (ou à « se défendre » selon la terminologie euphémisante des armées).

Cette réserve et un véritable réservoir à chair à canon permettant « de régénérer un front » (c’est leur vocabulaire). Les humains étant vus comme des poches de sang qui alimenteraient lors d’une "hémorragie" le front, seule créature animée dans l’histoire. Sans compter qu’un pays ne peut faire la guerre sans un fort soutien de sa population (moral des troupes à l’arrière, reconnaissance du « travail de sacrifice », base arrière volontaire, facilité de mobilisation générale de la jeunesse, main-d’œuvre dans les arsenaux, dénonciations des refusants, etc). C’est ce que les stratèges des armées appellent le « lien Armée-Nation » et les « forces morales de la Nation ». Le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale [7], véritable bible de l’armée française en témoigne :

Il ne peut y avoir de défense et de sécurité efficaces sans l’adhésion de la Nation. Cette adhésion fonde la légitimité des efforts qui lui sont consacrés et garantit la résilience commune.

On comprend alors que ce lien est à sens unique et que c’est l’Etat (sous sa forme Nation) qui exige, en période de guerre comme en ce moment, une adhésion contrainte du citoyen. Que c’est fondamentalement cette adhésion morale, qui fondera par la suite l’adhésion physique, le citoyen devenant alors le soldat partant au front ou soutenant l’armée à l’arrière.

Toujours dans la revue des armées, Esprit de défense, dans le numéro traitant justement du lien Armée-Nation, on comprend que les militaires font tout pour renforcer la cohésion entre bidasse et civil : « Remettons le citoyen dans la boucle, en axant sur la jeunesse » [8], et le laboratoire à tombeau ouvert qu’est la guerre en Ukraine sert d’exemple :

L’inspiration vient aussi d’Ukraine,"très pertinente sur les réservistes". Selon le général Gardy, le pays a vécu la montée en puissance de sa réserve "sous contrainte" en 2014, lors de l’invasion du Donbass. Le modèle n’étant pas au point, les Ukrainiens ont perdu. D’où la création d’une réserve territoriale par province et d’unités de combat qui étaient prêtes, en février 2022, à tenir un morceau de front ou à remplacer des unités professionnelles. « En quelques années, les Ukrainiens ont atteint un bon niveau de “forces morales”. Leur exemple nous rend assez optimistes. [9]

D’où la création en France en 2017 de la « réserve citoyenne de défense et de sécurité » qui jouera le rôle de suppléant, portant les caisses de munitions et remplissant les sacs de sable pendant que la « réserve industrielle de défense » servira à « renforcer les chaînes de production et de maintien en condition opérationnelle de l’industrie de l’armement en cas de crise ou de guerre. [10] » Tout le dispositif militariste de la France est en train de se consolider et de s’agrandir par des maillons citoyens de plus en plus dense. Ces propagandés d’un nouveau genre sont comme des vigies qui s’enclencheront pour tuer et seront soldés pour cela le jour où l’État enclenchera le régime de guerre…

La guerre n’est plus optionnelle, elle est la voie désirée

... la suite du texte en pdf ci-dessous :

Source
Groupe Grothendieck
Grenoble
juillet 2025.

Notes

[1« OTAN : vers un accord sur un objectif de dépense de Défense », Le Monde, 7 juin 2025.

[2L’Internationale anarchiste et la guerre, « Manifeste des 35 », Londres, février 1915.

[3Esprit de défense, n°15, printemps 2025.

[4« Robotique terrestre : La DGA notifie l’accord-cadre DROIDE », sur le site du ministère des Armées », http://www.defense.gouv.fr/dga/actualites/robotique-terrestre-dga-notifie-laccord-cadre-droide

[5« One Million Are Now Dead or Injured in the Russia-Ukraine War », Wall Street Journal, 17 septembre 2024.

[6Esprit de défense, n°8, été 2023, p35.

[8Ibid. p33.

[9Ibid. p35

[10Communiqué du DICoD, « La DGA, l’armée de l’Air et de l’Espace et MBDA signent une convention de partenariat au bénéfice de la réserve industrielle de défense »,7 mai 2025.

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