Nous, habitantes, chasseurs, naturalistes, paysannes, militants, nous sommes rejoints le week-end dernier (22&23/06/24) pour défendre les forêts de Loulle et de Mont-Sur-Monnet contre un projet de parc photovoltaïque sur 49 ha impliquant le défrichage de 51 ha de forêt. Il y a un an, nous avions organisé un premier rassemblement dans cette forêt, puis avons défilé en octobre dernier dans les rues de Champagnole. Depuis le début de cette lutte, près de 35 000 signatures ont été récoltées contre ce projet (plus d’infos sur le contexte local)
Ce samedi 22 juin, nous étions plus de 400 sur les lieux menacés pour découvrir la richesse de ces forêts, malgré les généreuses averses. Les participants ont pu suivre de nombreuses promenades naturalistes ainsi qu’une table ronde pour découvrir l’ampleur du projet et donner la parole aux différents acteurs de la lutte locale : Sociétés de chasse de Loulle et Mont sur Monnet, Jura Nature Environnement, Collectif Citoyen Résistant de Champagnole, Naturalistes des Terres.
Le dimanche matin, nous avons défilé depuis Ney jusqu’au Leclerc de Champagnole. Un cortège de 400 personnes mené par un tracteur, portant des marionnettes et étendards colorés s’est déployé à travers la forêt et la ville, chantant et dansant sous 200 panneaux photovoltaïques. Ces derniers ont indiqué aux développeurs d’énergie renouvelable la voie à suivre : déplacer les panneaux photovoltaïque depuis les forêts de Loulle et Mont-sur-Monnet jusqu’aux zones artificialisées de Champagnole, nottament les hypermarchés. Ce fut l’occasion de rappeler l’engagement non tenu de Leclerc de couvrir son toit de panneaux photovoltaïque il y a 10 ans déjà.
Depuis mars 2020, Cévennes energy porte un projet de parc photovoltaïque au sol en appâtant les communes rurales de Loulle et Mont-sur-Monnet avec des perspectives de recettes nouvelles. Prospectant d’abord sur 450 hectares de terres, le développeur propose un premier projet de 122 hectares, puis dépose une première demande de permis de construire portant sur 87 hectares, en espérant ainsi installer l’idée qu’il aurait déjà beaucoup réduit ses impacts. Pour créer l’illusion d’un ancrage local, ce projet piloté par une holding depuis le Gard s’appuie aussi sur la société d’économie mixte ENR Citoyenne, qui compte parmi ses actionnaires les syndicats intercommunaux d’énergie du Doubs et du Jura et le Conseil régional de Bourgogne Franche-Comté.
La Mission Régionale d’Autorité Environnementale, dans son avis du 28 mai 2024, "recommande vivement de reprendre la justification du choix des secteurs d’implantation en démontrant son moindre impact environnemental au regard d’autres alternatives envisageables à l’échelle intercommunale et, le cas échéant, revoir la localisation du projet". Elle liste les impacts négatifs de ce projet sur l’eau, la biodiversité, les risques incendie et pointe bien des insuffisances de l’étude d’impact : inventaire incomplets, raccordement du parc passé sous silence, etc.
En effet, les forêts concernées ont grandi lentement sur un système géologique calcaire, typique du Jura : le karst. Ce sont des forêts anciennes qui abritent tout un écosystème unique et fragile. Elles contribuent à réguler notre système hydrologique. L’eau façonne depuis des millions d’année, à travers failles, infiltrations, résurgences, reculées et cascades, ces écosystèmes qui créent la beauté de nos paysages. A travers cette grande manifestation, nous avons voulu rappeler que ce projet, comme tous les autres projets en milieu naturel, n’a rien d’un projet de transition énergétique, mais est guidé par des motivations purement financières. Nous refusons l’artificialisation de nos terres, ici comme ailleurs, répétons qu’il faut commencer toute transition par une politique de sobriété énergétique, et que les énergies renouvelables doivent s’implanter exclusivement sur les énormes surfaces où la biodiversité a déjà été sacrifiée, c’est à dire les zones déjà artificialisées.
Notre objectif a été de faire connaître au plus grand nombre ces écosystèmes, de révéler toutes leurs richesses et leur fonctionnement, et d’y retisser nos attaches. Nous avons voulu participer à leur évolution par des gestes naturalistes, pour les défendre et leur permettre de se défendre. Près de 200 personnes ont participé au marquage d’arbres propices à la biodiversité, à l’inventaire et au signalement d’espèces "protégées" (sans méconnaître les limites de cette protection ; et sans oublier toutes celles qui ne le sont pas mais sont aussi indispensables à la vie dans ce milieu). Entre autres gestes, nous avons créé, chacun mettant sa pierre à l’édifice, un hibernaculum en pierres sèches représentant la chevêchette ; il pourra accueillir plusieurs espèces et leur servir de refuge.
Tout au long du week-end, nous avons présenté le projet, décrit notre connaissance des lieux, raconté les liens qui unissent ces milieux. Nous avons partagé toutes nos découvertes du jour, nous avons chanté et dansé avec les chorales sur les Champs Larrons. Nous avons croisé nos visions de ce territoire, parlé de sobriété et d’énergie. Ensuite, nous nous sommes régalés grâce aux cantines et boulanges de luttes et aux délices du marché paysan. Enfin, après une nuit bercée par le chant des chouettes et les frôlements légers des ailes des papillons de nuit, nous sommes descendus nombreux du plateau de Balerne, rejoints par près de 500 manifestants, pour marcher ensemble vers Champagnole.
Ainsi, nous avons tissé des liens humains malgré nos divergences et différences, et nous nous sommes reconnectés aux vivants non-humains. Nous avons recréé du commun en cette période critique où nos possibilités d’organisation collectives sont mises à mal, où la protection de l’environnement se voit reléguée au dernier plan et où nos voix de citoyens libres d’affirmer l’avenir que nous souhaitons risquent de nous être confisquées.
Ce week-end organisé à l’appel des collectifs locaux de luttes, des associations communales de chasse agréées, des Naturalistes Des Terres, de Jura Nature Environnement, de la Confédération paysanne et des comités locaux jurassiens des soulèvements de la terre, a également été relayé par bien d’autres organisations. Car au delà de ce projet insistant de Loulle et de Mont-Sur-Monnet, dont le retrait pour nous ne fait aucun doute, cette mobilisation portait aussi sur les luttes locales contre les 25 projets de photovoltaïque au sol dans le Jura et les centaines d’autres partout en France.
Ni ici, ni ailleurs : les panneaux photovoltaïques, c’est sur nos toits, pas dans nos champs, ni dans nos bois !
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