
Le Comté, c’est bon pour les amoureux du fromage mais à quel prix ?
Depuis des années, un phénomène affecte de plus en plus les poissons de la Loue ainsi que dans d’autres rivières. La saprolégniose, une maladie mortelle que contractent les poissons à cause d’un champignon, est de plus en plus constatée.
La couleur de la rivière, qui est plus verte que cristalline, est due à la prolifération d’algues. Le souci de ces algues est qu’elles étouffent les insectes aquacoles, privant ainsi les truites de leur principale source de nourriture. De plus, suite à la période de reproduction ayant lieu de décembre à février, les truites sont affaiblies, réduisant ainsi leurs défenses immunitaires.
Ce problème a déjà été constaté à partir de 2009. En 2010, des écologistes, pêcheurs et habitants ont voulu alerter de l’hécatombe, en vain. Au fil des années, toutes les rivières de Franche-Comté ont été concernées par ce problème.
D’après une étude de 2020, menée par le laboratoire chrono-environnement en partenariat avec l’Université de Franche-Comté, la Loue aurait perdu entre 50 à 80% de ses poissons et la moitié de certains insectes sur une quarantaine d’années.
Ce qui est triste dans ces constatations, c’est que l’origine du problème est connue depuis un moment mais apparemment, les élus et le Gouvernement français ne semblent pas décidés à protéger cet environnement dont la pollution ne menacera pas uniquement les poissons et insectes, mais aussi les plantes et les habitants de la Région.
L’agriculture a été reconnu responsable à 90% des dégâts constatés. Notamment, la prolifération des algues est favorisée par les rejets de nitrate et phosphore venant principalement des déjections des vaches. Le problème est similaire aux algues vertes en Bretagne, mais d’une ampleur moindre.
Pourtant, l’agriculture est pratiquée depuis plus longtemps que 2009 dans la région. La pollution des rivières a été accentué à cause de l’intensification des pratiques agricoles. Tout cela pour produire encore plus de Comté.
Ce fromage célèbre a vu sa production doubler en l’espace de 30 ans, passant de 30000 tonnes en 1991 à plus de 60000 tonnes en 2022. En effet, on peut trouver ce fromage dans des pays voisins mais encore plus loin comme l’Inde.
Paradoxalement, le nombre de vaches laitières a diminué de 25% depuis 1979. Mais pour des questions de meilleures productivités, les éleveurs ont augmenté les surfaces mises en culture et les retournements de prairies. Les vaches ont reçu davantage de compléments alimentaires, augmentant ainsi les déjections qui sont ensuite utilisées en guise de lisier pour stimuler la pousse de l’herbe en dehors des périodes froides.
Le lisier est plus utilisé que le fumier car il demande moins de travail aux agriculteurs. Mais en l’utilisant massivement, on dépasse les capacités d’absorption des sols. Avec le ruissellement et les pluies qui s’ensuivent, les vaches se situant majoritairement en hauteur sur les plateaux, et le fait qu’il y ait des sols karstiques dans la région, il est facile que l’excès de nitrate et phosphore se retrouve dans les rivières, tuant ainsi de nombreux poissons et insectes, et rendant l’eau impropre à la consommation pour ceux qui en dépendent.

Des solutions, oui, mais les appliquer, non.
Les causes et les conséquences de cette pollution sont bien connues aujourd’hui.
Du fait que l’agriculture est un pilier économique majeur en Franche-Comté, notamment avec la filière fromagère AOP (Appellation d’Origine Protégée pour le comté, morbier et mont d’or par exemple), les mesures pour limiter cette pollution ne sont pas suffisantes, surtout quand la pression des lobbies agricoles et des syndicats (FNSEA, Jeunes Agriculteurs par exemple) limite l’instauration de mesures plus strictes mais aussi plus contraignantes pour les éleveurs. Entre défendre l’argent ou l’environnement, certains préfèrent condamner les générations futures pour des gains économiques qui ne serviront à rien face aux pollutions engendrées dans les décennies à venir.
Les agriculteurs ne sont évidemment pas les seuls à polluer les rivières, mais la pollution vient majoritairement de leurs pratiques.
Malgré l’existence de normes environnementales, les contrôles sont faibles et les sanctions rarement appliquées, faute de moyens ou de volonté politique.
Les agriculteurs se défendent en prétextant que des mesures plus contraignantes entraineraient la perte d’emplois, la disparition de petites exploitations au profit des grandes, des faillites et une désertification rurale. Ils ne veulent pas produire moins et ne semblent pas enclin à choisir un autre modèle de production.
Des mesures existent, comme les haies filtrantes, les bassins de rétention, des zones de non-traitement ou des aides aux pratiques durables. Force est de constater qu’elles sont insuffisantes.
Quant aux élus locaux, étant en lien avec les acteurs agricoles, ils hésitent ou ne veulent tout simplement pas imposer de restrictions trop strictes, au risque de s’attirer la colère des agriculteurs et d’impacter l’économie rurale.
En préférant favoriser l’agriculture intensive, les effets néfastes se feront ressentir sur le long terme. Les agriculteurs ne pensant qu’au court terme, ils préfèrent polluer pour des raisons économiques. Mais si les sols et rivières ne sont plus exploitables à cause de la pollution engendrée, comment comptent-ils continuer à fabriquer du comté et d’autres fromages dans les décennies à venir ?
Comment maintenir le tourisme dans une région polluée ?
Ne serait-il pas plus judicieux de revoir l’économie autour du fromage, de baisser la production et de préserver l’environnement sans lequel l’agriculture n’existerait pas ?
Et les poissons dans tout ça ?
Avec ces différents problèmes, on en oublierait presque les principaux concernés : les poissons.

Au même titre que les humains, ces animaux souffrent plus ou moins selon la gravité avec laquelle ils contractent une maladie. Généralement, les poissons infectés par la saprolégniose présentent des marques blanches. Cette maladie peut les affecter en cas de blessure et/ou d’une faible immunité pouvant survenir après la période de reproduction et le manque de nourriture. On observe ainsi des comportements anormaux : les truites souffrent en posant leurs œufs, elles sont désorientées et ne
fuient même plus face aux pêcheurs.
Les pêcheurs font partie des personnes alertant de ce problème. Mais derrière cette alerte, ils se plaignent que les poissons meurent à cause des activités humaines quand eux-mêmes les pêchent pour les tuer au final, montrant ainsi qu’ils se soucient de la rivière parce que leur loisir est menacé.
Nous savons aujourd’hui que l’alimentation carnée est l’activité qui contribue le plus au réchauffement climatique, sans oublier toutes les souffrances que subissent les individus destinés à la consommation humaine et non-humaine. De plus, les pêcheurs font chaque année des lâchers de poissons d’élevage dans le seul but de les pêcher, pas pour assurer la bonne santé des rivières. Ces poissons d’élevages menacent les écosystèmes déjà présents et ne sont pas compatibles avec la vie sauvage, risquant d’affaiblir les populations autochtones en cas d’accouplement.
Il est dommage de constater une certaine dissonance cognitive chez certaines personnes pour un problème qui nous concerne tous. Pour finir, tant que le bien-être des individus non-humains ne sera pas pris en compte, les évolutions dans cette voix prendront du temps et tous, humains compris, en souffriront pour les décennies à venir.
Que peut-on faire alors ?
Pour limiter cette pollution, voire la stopper, des solutions au niveau individuel sont possibles. On peut par exemple limiter, ou même arrêter, sa consommation de viande, de poissons et de produits laitiers. Les sources scientifiques ne manquent pas pour changer notre alimentation sans craindre d’éventuelles carences.
De nombreuses recettes végétales, à la fois savoureuses et nutritives, ne manquent pas sur Internet et dans de nombreux livres de cuisine. De plus, faire le choix d’une alimentation végétale peut avoir de multiples intérêts pour soi-même, ses proches, les autres espèces et l’environnement.
Si vous êtes témoins d’actions polluantes de la part d’élevage et de fromagerie, filmez, dénoncez. Leur image s’en trouvera dégradée et ils seront obligés d’agir en conséquence.
A vous de faire les bons choix. Et surtout, posez-vous la question suivante : est-ce que mon plaisir personnel vaut la peine de condamner les générations futures et les individus innocents quand ma survie n’en dépend pas ?
Sources :
- Pollution de la Loue : Pourquoi la filière Comté est accusée de polluer les rivières, Isabelle Brunnarius - Le blog de la Loue et des rivières comtoises / France Info
- Pollutions agricoles : la Loue, une rivière à l’agonie à cause de la filière comté, Jeanne Cassard et Nnoman Cadoret (photographies) - Reporterre
- L’impact de l’agriculture sur la pollution des rivières de nouveau démontré, Fred Jimenez - L’Est Républicain
- Lâchers de poissons d’élevage : une pratique de pêche nocive pour les rivières, Laurène Lavocat - Reporterre
- Le problème de la pisciculture : stop à l’élevage de poisson, Vegranola
- La pêche, un phénomène aux impacts méconnus sur l’environnement, Agroparistech Service Etude (ASE)
Lucas Debris
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