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La gauche dans le marécage

Morceaux choisis extraits d’un texte d’analyse de la séquence politique nationale actuelle, produit par le Groupe Révolutionnaire Charlatan

L’ensemble, bien plus long, est publié sur lundi matin.

La « gauche » ne représente plus que l’amas mou des gens qui ne sont pas tombés dans l’hystérie raciste et sécuritaire depuis 2015, et qui voudraient qu’on les félicite pour cela.

Quand on aura usé jusqu’à la moelle les tentatives d’union et les déclarations geignardes, se révolter ne sera plus que le geste désespéré des mauvais joueurs n’assumant pas de perdre à ce jeu auquel ils ont tant voulu jouer. Il n’y a pas pire perspective qu’une révolte désespérée “pour la démocratie”, appropriée par les partis réformistes au nom de la restauration d’un ordre parlementaire bourgeois.

Ce qui nous importe à nous, révolutionnaires, n’est pas de redresser cette trajectoire mortelle sur laquelle la gauche s’est joyeusement engagée : c’est d’y réchapper, premièrement, et de faire émerger, même de manière limitée, même au milieu du raz-de-marée autoritaire, des mots d’ordres émancipateurs.

La puissance de mobilisation de LFI est-elle le fruit d’un piège dans lequel elle est elle-même tombée ? Si leur stratégie politique se résume, au fond, à de la pure représentation, à la recherche d’une “part de marché” de l’opinion à conquérir, n’est-ce-pas car la structuration mentale par la marchandise touche l’électeur de gauche comme celui de droite ?

Le vote Mélenchon est ici le vote de ceux qui souhaitent des professions agréables et un cadre de vie préservé, quelques nouveautés progressistes, et le tout si possible sans trop d’efforts. Bref, que tout change pour que rien ne change.

Si les jeunes activistes et les vieux militants étaient obligés de regarder en face leur incapacité à prendre leurs convictions comme un combat ; si les classes d’encadrement étaient obligées d’admettre qu’il n’y aura pas de résurrection de l’État-providence ; si l’extrême gauche se faisait à l’idée que le programme de L’Avenir en Commun n’est que la réactualisation du vieux programme du PS ; si les syndicalistes admettaient qu’ils ne combattent plus que pour perdre, ou du moins pour amortir la défaite historique de leur classe ; bref, si tout le monde acceptait de voir la situation pour ce qu’elle est, il y aurait un cartel d’illusions perdues, comme au début du millénaire, plutôt qu’une grosse mystification confortable.

Le "bloc" électoral de gauche est une foule de solitaires cloisonnés derrière les murs dressés par l’idéologie et les conditions de la survie organisée sous le capitalisme. Tant que les murs ne seront pas tombés, ces personnes échoueront à se retrouver et à formuler une doctrine commune qui dépasse la pensée magique du vote. Tant que ces murs, si lourds et pesants, resteront debout, le "peuple de gauche” ne sera que ce troupeau d’imbéciles inquiets, convaincus qu’il suffit d’être en colère pour être cohérent.

Le problème dépasse donc largement celui d’une stratégie politique à corriger ou d’un appareillage théorique à critiquer ; le problème est une situation morale, celle de la conscience-zombie. Conscience-zombie réformiste, qui pousse les classes d’encadrement à toujours demander un État social, mais sans aucun substrat militant pour porter cette revendication. Conscience-zombie révolutionnaire de la jeunesse et de l’extrême gauche, réduites à aligner des formules idéologiques creuses et à ravaler la façade de doctrines périmées. Conscience-zombie syndicaliste, qui s’accroche à son monopole post-stalinien sur la lutte des classes et le monde ouvrier, et qui enchaîne les combats sectoriels et défensifs sans pouvoir renouer avec l’ancien esprit de conquête sociale.

Une décennie de démobilisation des forces politiques du pays et de réduction systématique des discours et des programmes à une expression démagogique, a totalement fracturé la capacité à se mobiliser en dehors des manifestations syndicales et de la temporalité des scrutins. S’il a fallu se convaincre, à chaque occasion, que voter était utile et pouvait réellement résoudre nos problèmes, c’était au prix de tout ce que l’action politique avait d’autre à offrir.

Nous arrivons en quelque sorte au point d’éclatement vis-à-vis du vote : plus les circonstances sont graves, plus il semble logique de dire que le vote ne serait qu’un outil comme un autre qui n’éclipse pas le reste ; et plus, dans les faits, les différents programmes et pensées politiques issus de la gauche, confrontés à la réalité du dégel du conflit de classe, se trouvent incapables de s’exprimer, d’être mis en pratique, ou même simplement d’esquisser une autre société radicalement différente de celle existante. Et le repli électoraliste s’avère alors totalement inévitable.

L’accumulation des différentes formes de fausse conscience, autant que la matérialisation dans l’imaginaire collectif des formes sociales du capitalisme tardif, se dévoilent ici : plus personne ne sait quoi faire, plus grand monde ne fait quoique ce soit, et quiconque fait l’effort d’essayer de réfléchir à sa capacité d’agir ou à l’agir collectif de son groupe, bute sur des abstractions.

Autrement dit, nous sommes incapables de saisir la finalité du produit de notre action, car nous l’envisageons dans les termes de la rationalité marchande, ou à la limite, dans son cadre moral.

En bref, dans la naturalisation présente des rapports sociaux, s’impose un sentiment d’impuissance totale, renforcé par l’omniprésence de la médiation marchande des rapports sociaux. Cette médiation s’impose à gauche comme ailleurs, où le happening, les réseaux sociaux et tout le reste de la culture publicitaire ont achevé de s’imposer en lieu et place de la formulation critique (même idéologique) d’un ensemble d’idées sur la société.

Méga-incendies, dérèglement climatique, inflation, montée de l’extrême droite en Europe, enfermement criminel des demandeurs d’asile, mesures d’austérité, guerres pour les ressources dans des pays lointains : ce n’est encore que le début.
Que deviendront tous nos alarmistes, tous nos « éveillés » aux problèmes du monde, quand ces problèmes poseront sérieusement la question d’une remise en cause de leur mode de vie ?

Le fascisme de notre temps ne trouvera pas ses meilleurs collaborateurs dans les masses de paupérisés en proie à l’hystérie raciste : le bon client restera toujours celui qui a quelque chose à perdre de sa routine compensatoire. Les consommateurs anxieux et les bourgeois randonneurs d’hier seront les premiers à savoir profiter des bienfaits d’un État fort, gestionnaire du désastre - ce qu’ils ont au fond toujours cherché.

Si nous considérons que les mouvements sociaux comme les individus sont à même de dépasser les tares des idéologies structurantes, ce n’est pas encore advenu. Les pitoyables vestiges de l’ancienne radicalité de gauche se replient sur des batailles de spectre avec le passé, se projetant dans des luttes abstraites et lointaines du présent.

Ce que nous voulons dire, en définitive, c’est que nous sommes confrontés à un risque bien réel : la barbarie fasciste, la société de contrôle cybernétique intégrale, et nous voyons bien le point de convergence entre les affects qui se formulent à droite, et le vide à gauche construit sur la même dépossession. Et sans bousculer cette inertie psycho-sociale, tous ces gens qui luttent ou voudraient bien lutter contre l’avènement d’une société fasciste aujourd’hui, auront trop à gagner à se satisfaire du consensus dans le futur - la fabrique du collaborateur se situe donc autant à gauche qu’à droite, dans la formulation d’idéologie de crise et dans le prolongement de la dépossession.

« La participation et la créativité des gens dépendent d’un projet collectif qui concerne explicitement tous les aspects du vécu. C’est aussi le seul chemin pour « colérer le peuple » en faisant apparaître le terrible contraste entre des constructions possibles de la vie et sa misère présente. Sans la critique de la vie quotidienne, l’organisation révolutionnaire est un milieu séparé, aussi conventionnel, et finalement passif, que ces villages de vacances qui sont le terrain spécialisé des loisirs modernes. »

P.S.

La troisième et dernière partie de cette analyse essayera de prolonger cet examen vers la frange de la société qui s’estime radicale, pour qu’elle devienne le lieu de tous les possibles, plutôt que l’ultime impasse du sentiment de révolte. A venir...

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