ÉDITO
GOUVERNER PAR LE TEMPS
Encore un printemps sans étudiant⋅es. Depuis 20 ans, le retour en classe imposé par le calendrier universitaire a lieu de plus en plus tôt, malgré un mode de fonctionnement en 2 semestres de 12 semaines chacun. Terminer son année début avril, qu’est ce que ça veut dire ? Ça veut dire faire d’une pierre deux coups : tout d’abord, libérer de la jeune main d’œuvre pour des bullshit jobs de plus en plus tôt. En plus d’offrir aux capitalistes vampirisés leurs doses de sang frais estival, on empêche de fait la population étudiante de prolonger des rencontres et des pensées qui se sont tissées tout au long de l’année et qui ne demandent que quelques degrés de plus pour se concrétiser. L’État a toujours eu le sens du timing. Le sacrifice sur l’autel du travail d’une jeunesse totalement fauchée par l’inflation arrive précisément au moment où le
soulagement provoqué par le retour du soleil et la joie de pouvoir à nouveau occuper ensemble les espaces extérieurs pourraient nous donner des idées et raviver l’audace d’imaginer que les choses soient autrement. Quoi de plus beau et de plus menaçant pour l’ordre politique qu’un mouvement social printanier ? Vider les facs en avril, voilà comment éviter un Mai 68.
La jeunesse étudiante se retrouve alors une fois de plus éclatée et isolée, débordée par un temps libre que seul la nécessité du travail pourrait venir rythmer. De plus en plus précarisée, submergée par le vide d’un compte en banque à remplir, prise en étau entre le prix des loyers et l’angoisse généralisée, elle ne peut que s’enthousiasmer de pouvoir mendier un smic horaire.
Gouverner par le temps, c’est décider d’un rapport entre météo et calendrier, c’est priver sa jeunesse de redécouvrir ensemble le plaisir des beaux jours qui reviennent, comme si ces derniers portaient en eux-mêmes la subversive métaphore d’une utopie.


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