Note de Campi selvaggi :
Cette contribution traite des dernières formes d’extraction de pétrole et de gaz dans la région de Kharkiv, mettant en lumière les tentatives des habitants de s’y opposer. Elle est intéressante à la lumière du scénario de dévastation et de pillage qui se dessine pour la future phase de "reconstruction d’après-guerre" sur le sol actuellement contrôlé par l’État ukrainien. Une affaire de plusieurs milliards dans laquelle l’État et les entreprises italiennes auront un rôle de premier plan. Ceci est explicitement confirmé par le communiqué du palais Chigi [siège de Meloni, ndtFr] diffusé en marge de la réunion bilatérale entre Giorgia Meloni et Volodymyr Zelensky au Forum de Cernobbio du 7 septembre : « Enfin, une attention particulière a été accordée au thème de la reconstruction, notamment en vue de la tenue en 2025 en Italie de la prochaine Ukraine Recovery Conference ». Zelensky lui-même a déclaré sur X : « L’un des thèmes clés dont nous avons discuté est la reprise et la reconstruction de l’Ukraine, en mettant l’accent sur la restauration de notre système énergétique ».
Sans aucune idéalisation des activités productives locales historiques, il faut souligner combien le dispositif de la soi-disante "transition écologique" est centrale dans la guerre en cours, où s’entrecroisent les intérêts du capitalisme fossile et du "capitalisme vert". Il convient de rappeler que l’État ukrainien avait adhéré en 2021 à l’Alliance européenne des batteries et des matières premières, ainsi qu’a signé un partenariat stratégique et lancé un projet commun pour l’extraction du lithium de deux dépôts de Dobra, à Chevtchenko, dans les régions de Kirovohrad et Donetsk. Le sous-sol actuellement contrôlé par l’Etat ukrainien est riche en gisements de lithium (fondamental pour les batteries et la mobilité "green") et des soi-disantes "terres rares" (essentielles pour les moteurs électriques, les appareils smarts, la filière éolienne, la fibre optique, le diagnostic médical) et y sont présents environ un tiers des réserves minières continentales (fer, manganèse, uranium, titane, zirconium, ...), le soi-disant "bouclier ukrainien". Matières premières essentielles également pour les activités des centrales nucléaires. En outre, l’Ukraine orientale est la deuxième plus grande réserve d’Europe en gaz naturel.
La population de Kolomak s’oppose s’oppose à la transformation du village en décharge à cause du forage des puits dans la région de Kharkiv
Il y a six mois que le groupe "Assemblée" a publié un article sur la dévastation de l’environnement par le secteur pétrolier et gazier dans les régions de Poltava et de Kharkiv, ainsi que sur les tentatives d’opposition de la population locale. Le 25 septembre à Novoivanivka, près de la frontière de ces régions [district autonome de Kolomak, ndtIt], une autre assemblée collective a eu lieu contre la construction d’une entreprise pour le traitement des déchets provenant du forage de pétrole et de gaz sur le territoire de la communauté.
Il y a environ trois ans, les représentant·e·s de "l’Agence pour la sécurité écologique" S.A.R.L. de Kharkiv se sont adressé·e·s aux autorités municipales. Iels ont proposé d’ouvrir une entreprise sur le territoire pour la culture d’arbres à croissance rapide de la variété Paulownia. À cette fin, les entrepreneur·e·s ont demandé à la communauté de mettre à disposition un terrain de 28,5 hectares sur le territoire de l’ancienne sucrerie Novoivanovsky, dans le village de Kolomak. De leur côté, iels ont promis d’améliorer [réaménager, ndtIt] les environs, de fournir des emplois à la population locale et d’installer une activité productive stable.
Le chef du raïon de Kolomak, Vladimirr Gurtovoy, déclare :
« L’étude de l’activité de la société "Agence de sécurité écologique" S.A.R.L. a montré que leur profil principal est la gestion des déchets de forage, pas l’agriculture. En conséquence, les habitants de Kolomak ont catégoriquement refusé leur offre. »
Plus tard, la société a acheté un bâtiment de seulement 2 mètres carrés sur le territoire du village et, avec l’aide d’un notaire, a enregistré la propriété du terrain qu’iels avaient l’intention d’utiliser. Ils ont demandé à la communauté locale de leur accorder l’accès à 28,5 hectares de terrain, mais les habitants ont refusé, comme le rapporte le directeur du district de Kolomak. Mécontents de la décision de la communauté, les entrepreneurs ont porté plainte devant le tribunal administratif de la région de Kharkiv. Après deux ans de litige, le tribunal a statué en leur faveur, obligeant la communauté à céder le terrain demandé. Malgré le recours des habitants de Kolomak à la Cour suprême, le verdict est resté inchangé (décision du 20.02.2023).
Récemment, la communauté a reçu un avis du Ministère de la protection de l’environnement et des ressources naturelles de l’État ukrainien, dans lequel il était mentionné que l’intention de "l’Agence de sécurité écologique" S.A.R.L. était de mettre en place une usine de traitement des résidus de forage dans le village.
« La communauté de Kolomak est catégoriquement opposée à cette décision, car il y a des bâtiments résidentiels avec des personnes qui vivent à seulement 20 mètres de la future installation. En outre, à 70 mètres de distance, il y a un puits existant qui fournit de l’eau potable à Kolomak. Il s’agit d’une zone où la construction de l’installation dangereuse est prévue et qui se trouve à haute altitude : au printemps, les eaux usées se jettent dans la rivière Kolomak, avec le risque de polluer la Vorskla et le Dniepr », souligne Vladimir Gurtovoy.
Le communiqué de presse de l’assemblée collective qui s’est tenue récemment indique que :
« Lors de la réunion, tous les participants ont protesté contre cette activité possible, car le terrain sur lequel l’entreprise entend transporter les déchets dangereux se trouve à l’intérieur du centre habité de Kolomak, à 20 mètres des bâtiments résidentiels et à 70 mètres d’un puits existant où les gens puisent de l’eau potable et à proximité d’une garderie. Le site où il prévoit de déposer les déchets est situé sur une colline et, lors des inondations printanières, l’eau de cette zone se jette dans la rivière Kolomak ; par conséquent, le dépôt des déchets sur ce site entraînera une pollution supplémentaire. Suite à la rencontre, plus de 200 signatures de citoyens qui ne sont pas d’accord avec cette activité ont été recueillies et envoyées au Conseil des ministres, à la Rada suprême [le Parlement, ndtIt] et à d’autres entités, avec la demande d’empêcher l’élimination de déchets dangereux dans les territoires choisis par l’entreprise. »
Avant-hier, les représentants de l’entreprise ne se sont pas présentés à la réunion pour défendre leurs plans. Selon le maire, il était impossible de contacter l’Agence — ils n’étaient pas disponibles.
« L’administration du raïon de Bohodoukhiv soutient pleinement la position des habitants du village de Kolomak d’empêcher la localisation de l’entreprise pour le traitement des déchets provenant de l’industrie de forage sur le territoire du village. Pour résoudre le problème revendiqué par les habitants locaux, nous avons l’intention de nous adresser au département compétent de l’administration régionale de Kharkov, non seulement de demander le soutien des députés du parlement », a déclaré le maire adjoint de Bohodoukhiv, Alexander Deineko.
Les médias citent également les mots d’un habitant local, selon lequel les gens sont extrêmement indignés par l’insolence de la société et les décisions du tribunal concernant l’occupation future des terres, donc ils sont prêts à une action radicale :
« J’ai vécu toute ma vie à Kolomak et tout donné à la communauté. En ce moment, mon fils et mon neveu défendent notre pays contre les Russes. Je ne peux pas croire que cela puisse arriver pendant la guerre. Nous avons organisé plusieurs fois des rencontres publiques sur ce sujet, mais personne ne nous prête attention. La création d’une telle structure est un attentat à notre vie et à notre santé. Personne ne nous considère. Nous sommes prêts à lutter jusqu’au bout, à faire appel à l’administration militaire régionale de Kharkiv, aux ministères, au Président de l’Ukraine ! Et si nous ne sommes pas écoutés, nous ferons des barrages routiers, des barricades humaines, mais nous ne laisserons pas les voitures qui transportent des déchets mortels venir ici. Nous ne le permettrons pas ! Ce n’est pas la bonne façon de nous traiter. » a déclaré Nadezhda Kruglaya.
La raffinerie de sucre de Novoivanovsky, dont la fermeture a ouvert la voie à ces plans destructeurs, a subi le déploiement de formes sauvages de capitalisme, ou de la non-rentabilité de la cuisson du sucre dans les conditions actuelles de l’État ukrainien. Selon l’Association nationale des producteurs de sucre d’Ukraine "Ukrtsukor", en 2013-2014, la betterave à sucre a été traitée par 5 des 8 usines survivantes dans la région de Kharkiv. Seules deux d’entre elles étaient en service pour la saison 2020-21, dans les villages de Houty et Bely Kolodes. Novoivanovsky a été fondée en 1901 et a récemment employé environ 300 résidents locaux, versant chaque année environ 7,5 millions de hryvnia [monnaie nationale ukrainienne, ndtIt] au budget local. Dans l’année de son 120° anniversaire, elle a cessé d’exister et a été mise à la casse, bien qu’elle ne soit pas techniquement obsolète. En février 2021, "Astarta Holding", qui comprenait la raffinerie de sucre, l’a vendue, ayant auparavant réduit les équipements et démantelé le chemin de fer pour l’usine. La société a expliqué la raison de la vente avec le manque de matières premières et l’absence de producteurs de betteraves à sucre dans la région de Kharkiv.
« À notre grand regret, le propriétaire qui a acheté l’usine reste fermement en place, il n’a pas acheté une usine de sucre, mais les locaux de la sucrerie avec un équipement réduit, et le louera ou le vendra pour toute activité productive non interdite par la loi », a écrit Gurtovoy à l’époque sur la page du conseil du raïon de Kolomak.
Le sucre produit localement a été remplacé par celui importé, car il est possible de cultiver la betterave sur place, mais il n’est pas rentable de la transporter sur de longues distances pour sa transformation. En outre, selon Sergey Khmel, ancien directeur technique de la sucrerie Novoivanovsky, aujourd’hui 20% du marché ukrainien des "bonbons" sont constitués de substituts du sucre importés de Chine : peu coûteux mais nocifs pour la santé. Leur utilisation est interdite dans de nombreux pays européens.
Il est très probable que la situation de Kolomak n’est qu’une préfiguration des processus qui se développeront après la guerre. Dans ce contexte, les activités productives locales seront remplacées par celles qui tuent l’environnement et ne nécessitent pas un grand nombre de travailleurs. La région de Kharkiv reste en tête du classement des ventes de terres agricoles depuis le début de la guerre à grande échelle. Sans parler des soldats avec trouble de stress post-traumatique qui ne sont pas encore revenus... Le cessez-le-feu hypothétique pourrait devenir un prélude à des choses plus intéressantes, quel que soit l’État qui contrôlera le terrain à ce moment. Le résultat dépendra toutefois de la force et de l’activité des communautés locales. Par exemple, avant la guerre, une révolte massive de la population de Zhikhar, près de Kharkiv, a déjoué les plans de l’oligarque Akhmetov d’extraire du gaz naturel à proximité des habitations.
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